Dans une interview exclusive accordée à notre rédaction, Cheick Oumar Traoré, président de l’Union des Patriotes Africains de Guinée (UPAG), dresse un bilan très reluisant des deux premières années de la transition guinéenne sous la direction du CNRD. Il pointe du doigt les défis sécuritaires, économiques et politiques qui restent à relever d’ici la fin de la période transitoire. INTERVIEW
Le CNRD a pris le pouvoir il y a 2 ans en promettant une refondation de l’État et de rompre avec les mauvaises pratiques du passé. Pensez-vous que ces objectifs ont été atteints et que le pays a véritablement changé sous cette transition ?
Pour refonder un pays qui tant été victime de divisions, de gabegie financière et détournement, d’injustice, de repli identitaire, de corruption et de meurtre, vous conviendrez avec moi que deux ans est insignifiant.
Cependant, quand on se réfère du passé récent de notre pays, et fait abstraction des calculs politiciens, on verra clairement que le bilan du CNRD globalement positif et encourageant.
Il y’a un adage malenke qui dit que « pleurer sous la pluie n’est que vain » comme pour dire que la chute de la Guinée s’est produite d’une hauteur telle que devant son pitoyable affaissement actuel, il n’est presque pas possible de reconnaître les avancées et les réformes notables du CNRD. Sans quoi, la Guinée dispose aujourd’hui d’un CNT plus représentatif du peuple que l’assemblée nationale élue que nous avions il y a deux ans. Toutes les sensibilités et forces vives de la nation sont représentées dans ce conseil. Ce qui est exceptionnellement démocratique dans une transition. Nous avons vu la tenue d’une assise nationale qui a connu la mobilisation et l’adhésion de la quasi-totalité des guinéens.
Un gouvernement qui a fait de la promotion des jeunes, des femmes et des personnes vulnérables, une priorité absolue. Nous avons aujourd’hui rajeunissement historique de l’administration guinéenne. Un chronogramme accepté et partagé de la transition est en cours.
Sur le plan économique, une guerre sans merci a été engagée contre la corruption, l’enrichissement illicite, la mauvaise gouvernance, l’impunité et les fossoyeurs de l’économie avec la mise en place de la CRIEF et la lutte contre la précarité. Également, il y a aussi la question de la récupération des domaines de l’État et la restauration de l’autorité de l’Etat qui ont permis au gouvernement de mettre la main sur tous ces biens spoliés depuis des années et d’engranger plusieurs milliards de franc guinéens.
La transition devait initialement durer seulement 24 mois suivant un accord entre la CEDEAO et la junte qui a démarré le 1er janvier 2023 avant un retour à l’ordre constitutionnel. Mais ce délai risque un prolongement. Comment expliquez-vous le retard accusé dans la mise en œuvre du chronogramme ?
Vu l’énormité et l’importance des tâches du chronogramme, on peut croire que 16 mois n’est pas suffisant et qu’il pourrait y avoir un glissement. Mais ce qui est vrai, est que jusqu’ici tout va bien et tout ira bien si tous les acteurs s’impliquent à travailler ensemble mains dans les mains pour lever tous les blocus qui sont d’abord d’ordres financiers. Plus de 5.000 milliards de gnf sont sollicités pour le retour à l’ordre constitutionnel. La mobilisation de ce fonds interpelle tous les acteurs sociopolitiques de la Guinée.
On veut le retour rapide à l’ordre constitutionnel mais au même moment, on désacralise et discrédite les autorités de la transition, les empêchant de s’organiser et mobiliser des ressources.
Secundo, il faut que les acteurs politiques et de la société civile privilégient l’intérêt général en s’associant au cadre de dialogue et surseoir à toutes manifestations de rues et sabotages.
La gestion de la transition par le CNRD est critiquée par une partie de la classe politique et de la société civile notamment sur la question des droits humains et des poursuites envisagées contre des acteurs politiques non des moindres. Que répondez-vous à ces critiques ?
Je me demande : existe-t-il un droit de l’homme qui dépasserait le droit de tout un peuple ? Les gens dont vous parlez sont accusés par la justice d’avoir intenté au droit de vie de tout un peuple. Un criminel économique est pire qu’un mauvais médecin.
Autant dire sans risque de se tromper que les conditions de vie du guinéen et la situation économique de la Guinée, aussi précaires soient-elles, sont le reflet de la gestion calamiteuse de certains de ces gens.
Pour éviter de retomber dans le carcans de l’impunité, il faut que les gens se ressaisissent et laissent la justice faire librement son travail.
C’est pourquoi les guinéens devraient se réveiller et ne plus jamais accepter d’être l’objet de manipulations ou de dérives menant à la défense de ceux qui ont hypothéqué leurs avenir. Non, nous n’avons pas à critiquer le CNRD pour la libération ou l’abandon de poursuites contre ces gens. Il faut qu’ils soient au contraire soumis aux conséquences de leurs forfaitures.
J’ignore les dispositions légales en la matière, mais je suis persuadé qu’une année de détention provisoire n’est pas assez pour un prévenu accusé de crimes ayant mis en périls la vie de tout un peuple. Il faut donc que les enquêtes se poursuivent sans entraves et qu’un procès équitable soit organisé.
Selon vous, quels sont les grands défis qui attendent la Guinée à l’issue de cette transition ? Comment le pays peut-il renouer avec une vie politique apaisée et une croissance économique solide ?
Notre pays est confronté à un certain nombre défis. L’instabilité politique. Hors cette période transitoire qui est en soit une instabilité, la Guinée est ce pays qui a enregistré le plus grand nombre de manifestations à caractère politique dans la sous-région ces dix dernières années. Cette situation engendre un climat d’incertitude et d’instabilité économique, car elle décourage les investisseurs et les entreprises.
Comme d’autres pays africains, la dépendance à l’aide étrangère est un autre défi majeur pour la transition. La Guinée est un pays qui attend une importante aide étrangère. Cette aide est essentielle pour le retour à l’ordre constitutionnel et pour le développement du pays, mais elle rend également le pays vulnérable aux pressions extérieures.
Voici quelques mesures que les autorités de la transition peuvent prendre pour relever ces défis et renouer avec une vie politique apaisée :
– Promouvoir le dialogue inclusif et permanent en procédant, à chaque fois que cela est possible, à des compromis justes ;
– Réduire le coût de la vie en subventionnant les denrées alimentaires et les produits ménagers ;
– Stabiliser l’économie en mettant en place des politiques économiques saines ;
– Lutter efficacement contre la corruption et la mauvaise gestion peut permettre d’engranger d’énormes ressources financières ;
– Réduire la dépendance à l’aide étrangère en diversifiant l’économie et en attirant les partenaires étrangers ;
A mon avis, le succès de la transition dépendra de la capacité des autorités et des acteurs sociopolitiques à relever ces défis.
Interview réalisée par Ibou Barry