Les médias constituent le quatrième pouvoir dans une société moderne. Ils ont la mission fondamentale d’éclairer les masses sur les réalités véritables de la société. Une sorte de référentiel dans les sociétés à démocratie libérale. Ils sont en ce sens protégés par la liberté de presse qui prend ses sources dans la liberté d’expression et d’opinion, droit de première génération et l’un des principes fondateurs de régulation des sociétés démocratiques modernes. Il est donc intolérable pour un journaliste d’user de sa couverture de presse pour véhiculer des approximations sur la base de sentiments personnels. Il lui est interdit dans l’exercice de ses fonctions, de faire de la communication en lieu et place de l’information, ou de se livrer à un travail à charge en propageant des contre-vérités ou même des approximations.
Depuis deux semaines, un reportage «UN APPRENTI-DICTATEUR PROTÉGÉ PAR MACRON» réalisé par Thomas Dietrich et publié sur le média militant « Media » véhicule des approximations sur la situation politique en Guinée. En dépit de réduire le président Alpha Condé à un vil tyran, le journaliste militant reproche au président français Macron de laisser faire en Guinée. Selon lui, l’inaction de Macron en Guinée est liée à son éventuel soutien au chef des putschistes. C’est à se demander si la France n’est finalement pas devenu un pays africain.
- D’abord Alpha Condé n’était pas un tyran. Ce n’est pas un simple avis. Mais c’est en rapport avec la définition même de la tyrannie. Alpha Condé a conquis le pouvoir par les urnes. Il est resté longtemps le principal opposant et combattant pour la démocratie en Guinée. Il l’a payé de sa liberté. Il fut injustement arrêté et emprisonné pendant des années. Ses militants furent maintes fois réprimés dans le sang, et en toute impunité. Mais il a toujours appelé à la non violence, et surtout au pardon. Il a refusé en 1993 que les militaires l’imposent au pouvoir par la force. Sa célèbre citation « je ne suis pas venu pour diriger les cimetières. Mon combat est un combat d’idées. Mes armes: la plume et la parole » est d’anthologie.
C’est pourtant lui Alpha Condé qui a fait institutionnaliser la fonction de chef de file de l’opposition en Guinée. Sous son régime, l’opposition était une institution représentée par le principal opposant en fonction du poids électoral. Un budget mensuel de 50 000 euros était voté à l’assemblée nationale en faveur du principal opposant qui faisait désormais partie du protocole. Alors que lui Alpha Condé a passé des années d’opposition en exil, ses militants vivaient dans la clandestinité, sans parler des centaines de fonctionnaires qui furent radiés de la fonction publique pour leur supposée proximité avec le RPG. Mais sous son régime, ses opposants avaient pignons sur rue. Il faut rappeler que lors des législatives de 2013, il avait accepté de perdre les cinq communes de la capitale, alors que les décomptes donnaient le RPG en tête dans son fief de la commune de Matoto. Mais il a privilégié la paix sociale à son intérêt politique ce jour-là.
Il a aussi mis fin aux tortures dans nos prisons, alors que lui en avait été victime lorsqu’il était en prison. Nul guinéen véridique n’ignorera le parcours de notre pays. Du camp Boiro aux 32 escaliers, au camp Koundara… Certes il y a du chemin à parcourir, mais beaucoup de choses ont été réalisées sous le régime d’Alpha Condé.
Ensuite Alpha Condé, c’était le dialogue avec son opposition. Il y a eu environ 24 dialogues organisés avec son opposition pour la stabilité du pays. Certains de ces dialogues se tenaient même en totale violation de la loi. Mais il a toujours su contenter son opposition pendant qu’au Sénégal « démocratique » Khalifa Sall, Karim Wade, Idrissa Seck et tant d’autres leaders croupissaient en prison. Donc je pense que le président Alpha Condé n’était pas un tyran. Même s’il y avait des choses à reprocher à son régime, mais la tyrannie semble exagérée pour qualifier son régime. L’homme et son régime ne sont pas exempts de critiques. Loin s’en faut : L’inconscience professionnelle, la gabegie, la délinquance financière sous son régime. Il n’a pas su lutter contre la corruption. Il n’a pas châtié, il devrait le faire. L’ethnocentrisme s’est aggravé sous son régime. C’est un fait qu’il avait des défauts. Mais la tyrannie n’en fait pas partie. Soyons honnêtes.
- Deuxième point
Le journaliste parle des scènes de liesse comme si le peuple de Guinée avait salué le putsch. Je m’inscris en faux contre une telle affabulation et j’affirme que c’est seulement dans le fief de M. Cellou Dalein Diallo principal opposant qu’il y a eu manifestation de joie. Et tous les guinéens sont unanimes là-dessus. Le putsch a réussi à cause des querelles politiques. Sinon le peuple de Guinée est dans l’expectative depuis le putsch du 5 septembre 2021. Seul le fief du principal opposant était dans l’euphorie. Ce qui peut être perçu comme de bonne guerre parce que la conflictualité politique avait atteint le summum entre les deux puissances politiques du pays. Tout guinéen conscient sait que le putsch du 5 septembre est la conséquence de la conflictualité politique qui s’est installée entre la mouvance et l’opposition. Cette conflictualité a commencé en 2011 et s’est poursuivie crescendo avec plus de 700 et quelques manifestations, de la répression policière, des morts et d’importants dégâts matériels.
Mais nous comprenons les gesticulations de la presse française à vouloir justifier les putschs en Afrique. Voici une presse qui promeut une démocratie à géométrie variable en Afrique. Pour elle, il y aurait des bons dictateurs et des mauvais dictateurs en Afrique, selon que ces derniers défendent l’intérêt de la « Métropole ». Nous nous souvenons par exemple que parmi les Pères des « indépendances africaines », seul Sékou Touré fut présenté comme dictateur par la presse française. Pourtant Senghor est resté 20 ans sans partage au pouvoir, avec à la solde d’ignobles crimes de masse, sans parler de l’emprisonnement d’Abdoulaye Wade. Houphouët Boigny, 34 ans au pouvoir, avec des crimes politiques et autres emprisonnements d’opposants. Mais seul Sékou Touré fut présenté comme dictateur.
A cette ère des « démocratures », nous vivons l’époque des dirigeants élus qui usent d’arguties juridiques et de leur popularité pour se maintenir au pouvoir. Alhassane Ouatara, Macky Sall, Alpha Condé, IBK avaient tous procédé à des modifications constitutionnelles leur permettant de se maintenir au-delà de deux mandats. Mais seul Alpha Condé est présenté comme dictateur. Ouattara fut félicité par la France après son 3ème mandat avec à la solde 93 morts. Mais il reste un ami de la « Métropole », il doit paraître irréprochable dans la presse. C’est peut-être de bonne guerre, mais les Africains que nous sommes, avons désormais notre propre paradigme de réflexion. Nous nous souvenons que Thomas Dietrich fut appréhendé en tant manifestant en marge des manifestations violentes en Guinée. Faut il en conclure qu’il véhicule ici un ressentiment personnel ? Quel est l’intérêt de présenter le Président Alpha Condé tel un tyran dans le but de justifier un putsch? Alpha Condé était peut-être un mauvais démocrate, mais le putsch était-il la solution? Voici le narratif mensonger qui a plongé la Guinée dans l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui.
- Troisième point
Sur le troisième point, la vidéo nous parle de l’état de déliquescence du pays. Je vois que le reporter ne connaît pas la Guinée. Je ne sais pas quel âge il a, mais je crois qu’il dit des choses qu’il ne maîtrise pas bien. Et c’est très dommage pour le métier de journaliste d’investigation qu’il revendique.
Selon l’agence internationale de l’énergie, la Guinée était à 47% du taux de couverture énergétique de son territoire en 2019, alors qu’en 2010 nous étions à 20%. Les chiffres sont disponibles. Tous les guinéens sont unanimes que le pays a avancé sur le plan énergétique. Alpha Condé a à sa décharge, l’état de déliquescence dans lequel il avait trouvé le pays en 2010. Il a investi plus 3 milliards de dollars us dans l’électrification du pays. Il a investi plus de 2 milliards dans les routes. Il a investi plus d’un milliard de dollars dans le secteur agricole. Il a rénové et modernisé des infrastructures comme l’hôpital national Donka ou l’université Gamal A .Nasser, ou encore les ERAM (école régionale des arts et métiers)… Sans parler du retour de notre pays sur la scène internationale. Les résultats sont certes faibles, mais cela est dû au fait que la Guinée soit l’un des pays les plus corrompus au monde. Ce qu’on peut logiquement lui reprocher c’est de n’avoir pas châtié ceux qui ont détourné les fonds alloués au développement.
- Quatrième point
C’est le point qui me choque le plus. Le journaliste interpelle le président français E. Macron en disant que Macron laisse faire, Macron protège le chef des putschistes, patati-patata… Je pense que le journaliste se croit en France. Il se croit dans une province française, il se croit en Vendée peut-être. Moi je voudrais dire au journaliste que le peuple de Guinée n’attend absolument rien de ses partenaires à part une coopération sur des bases justes et équitables. En Guinée, nous respectons la France. Nous respectons son peuple et ses valeurs. Et chaque citoyen français en terre Africaine de Guinée jouira de la dignité et de l’hospitalité de notre peuple. Mais les questions internes restent guinéennes et africaines. Et nous avons toujours su compter sur le Mali, le Ghana, la CEDEAO ou l’UA ou l’ONU pour résoudre nos contradictions internes. Nous ne perdons pas de vue le fait que le président français ait assez de problèmes à gérer pour s’embarrasser de questions qui ne le concernent point.
En tant que panafricaniste, cette posture victimaire à toujours vouloir interpeler la France sur les problèmes africains me rebute. Nous sommes un peuple responsable qui a toujours su prendre son destin en mains et nous comptons assumer entièrement cette tradition. Nous espérons que dans un proche avenir, nos relations bilatérales reprendront formidablement après le retour de la Guinée la légalité constitutionnelle.
Vive la Guinée !
Vive la France !
Vive la coopération franco-guinéenne !
Pour le Front Républicain
Kémoko CAMARA, Porte-parole