Au cours de la décennie 2010, la région ouest-africaine renouait avec l’alternance démocratique. Sept États renouvelaient dans les urnes leurs dirigeants: Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal, Sierra-Leone, Liberia, Cap-vert… De nouveaux dirigeants et, un opposant historique qui s’était longtemps battu pour l’idéal démocratique accèdaient au pouvoir. On pensait alors en avoir terminé avec les changements anti-constitutionnels dans cette région du continent. Il apparaissait que la tendance était désormais à la préservation des acquis démocratiques, obtenus la plupart par la lutte citoyenne. Mais l’échec des pouvoirs civils, la conflictualité politique, la boulimie et la monarchisation des nouveaux « princes » et le terrorisme servirent de prétextes aux militaires pour renverser l’ordre démocratique difficilement acquis, et se proclamer par la force « nouveaux seigneurs » des Cités Africaines.
Quelques années après, le constat est patent. Non seulement, la rupture de l’ordre démocratique a isolé ces États, mais les dérives qui servirent de prétexte aux putschs se sont accentuées. La situation de ces États s’est donc dangereusement compliquée, du moment où les usurpateurs semblent vouloir se maintenir même au prix fort. Nous devons cependant avoir la clairvoyance de dissocier les situations des trois pays. Le Mali et le Burkina Faso ont une situation semblable. Voici des États morcelés, occupés, confrontés au djihadisme et qui ont perdu plus de la moitié de leurs territoires. Si la Guinée était confrontée à un simple problème de conflictualité politique qui pouvait trouver solution dans le dialogue entre les formations de la classe politique représentative de notre société nationale, au Mali et au Burkina Faso, le problème est beaucoup plus complexe. Ces États sont confrontés à un problème existentiel de viabilité de leurs États. Donc la CEDEAO est confrontée à deux problèmes majeurs: le djihadisme et la recrudescence des putschs.
Pas plus tard que 3 jours, la junte au pouvoir au Mali exprimait son intention de vouloir « aider » la Guinée, pendant qu’un contingent guinéen de plus de six cents (600) combattants s’apprête à rejoindre nos milliers de soldats sur le champ de bataille à Kidal. Certains compatriotes en ont ricané et traité le premier ministre malien de mégalomane. On a entendu des railleries et autres subterfuges infantilisant les colonels maliens, « qui semblent être plus forts dans les discours que le combat de terrain » disaient d’autres.
Au Front Républicain, l’on s’interroge à savoir s’il faut en rire ou s’il faut en pleurer, eu égard à la complexité et aux préoccupations particulières que soulèvent les situations du Mali et du Burkina Faso. L’incapacité manifeste des autorités de ces pays à faire face au problème djihadiste sur leurs territoires respectifs n’est plus à démontrer. Leurs armées se sont au fil des années, avariées et embourgeoisées. Contrairement à l’armée camerounaise qui a fait preuve de férocité dans la lutte contre Boko Haram, les autorités du Mali et du Burkina ne semblent pas être en mesure aujourd’hui de vaincre l’ennemi et comptent sur des combattants étrangers pour se libérer. L’on peut être tenté de s’interroger si leur esprit chevaleresque se limite plus aux beaux discours qu’aux actes pratiques.
L’armée malienne au pouvoir depuis deux ans, ne gagne malheureusement pas de terrain. Elle contrôle selon les médias, pas plus de la moitié de son territoire. L’échec de la France après 8 ans de présence est patent. Mais le choix de la junte pour les mercenaires russes n’a pas non plus produit d’effets. Le fait de payer de combattants étrangers pour combattre à leur place est une éloquente démonstration d’incapacité, et un aveu d’échec pour tout le continent. Quant au Burkina Faso, le pays est en déconfiture sociale du fait que les terroristes aient gagné du soutien au sein même des populations locales qu’ils tuent. Incroyable, n’est ce pas ?
Non seulement les armées sont techniquement et logistiquement faibles, mais aussi la faillite de l’État pousse les populations locales dans les bras du plus offrant. C’est dans cette situation que la CEDEAO totalement déconnectée des réalités, propose des élections comme solution de sortie de crise. Des principes conventionnels pour des situations exceptionnelles. De la pure aberration. Surtout quand on sait que le Mali et le Burkina Faso contrairement à la Guinée, sont confrontés au Djihadisme, mais encore à un problème existentiel de viabilité de leurs États. Au lieu de réfléchir et proposer des solutions à la mesure de chaque État, la CEDEAO se contente de déclarations et de sanctions conventionnelles. Si j’adhère aux sanctions ciblées contre la junte au pouvoir en Guinée, qui montre des velléités de monarchisation, je regrette que la CEDEAO n’ait pas soutenu les autorités de la transition au Mali qui n’ont fait que répondre à l’appel du Peuple souverain du Mali, et qui les soutient par ailleurs.
Les décideurs de l’institution régionale se bornent à exiger le retour à l’ordre constitutionnel dans un Mali et un Burkina qui contrôlent à peine la moitié de leurs territoires respectifs. Or, la popularité de Goïta au Mali et le renversement de Damiba au Burkina Faso démontrent que l’urgence dans ces deux pays n’est pas l’organisation des élections. L’urgence au Mali et au Burkina contrairement à la Guinée, reste la lutte contre le djihadisme et la reconquête des territoires occupés. Si l’institution régionale veut aider, c’est justement à ce niveau qu’elle devrait concentrer ses efforts. Les citoyens burkinabés et maliens démontrent tous les jours leur intérêt pour leur libération du joug des djihadistes. Il est donc aberrant de proposer des « comprimés de quinines contre des grossesses non désirées« . La CEDEAO doit proposer des solutions africaines aux problèmes africains, et ainsi coopérer avec les autorités maliennes et burkinabés dans la lutte contre le djihadisme et la reconquête de leurs territoires respectifs. C’est seulement après cela, que nous pourrions parler d’alternance démocratique dans ces deux pays.
Le Front Républicain de Guinée reste opposé aux putschs et aux changements anticonstitutionnels en Afrique. Mais face aux situations d’extrême précarité auxquelles sont confrontés le Mali et le Burkina Faso, l’organisation d’élections ne peut être une option. La CEDEAO a donc tort de s’aliéner et de proposer des solutions en faveur de puissances exogènes, dont le seul but est de faire porter à la tête de nos États leurs pions, pour servir leurs intérêts. Ces puissances que tout le monde connaît nous ont suffisamment montré leurs mauvaises intentions quant à la stabilité de nos États. La CEDEAO doit donc se refonder ou au moins adapter ses instruments de sorte qu’ils servent les intérêts strictement Africains. Je soutiens par contre la position de la CEDEAO de faire pression sur la junte en Guinée dont le seul objectif reste la confiscation du pouvoir. En Guinée, la seule raison valable de rupture de l’ordre constitutionnel aurait été l’opportunité que ça nous aurait offert pour la refondation de la Nation. Mais étant donné que la junte n’a manifesté aucun intérêt dans ce sens, rien ne justifie donc le maintien de la Guinée dans l’illégalité et dans l’isolement diplomatique.
Si de par le passé, la CEDEAO a posé d’importants actes allant dans le sens de l’intégration Africaine: la création d’un passeport unique qui facilite la circulation des personnes et des biens, la création d’une armée ECOMOG qui a mis fin aux rébellions dans la sous-région.. sans parler des projets de marché unique, de monnaie unique… il est à regretter que l’institution soit devenue aujourd’hui une institution de défense d’intérêts autres que ceux de l’Afrique. Elle reste donc déconnectée des réalités Africaines. Elle ne propose rien contre le djihadisme transnational qui mine nos États. Elle ne fait rien pour épauler le Mali et le Burkina à reconquérir leurs territoires. Elle est devenue une institution bureaucratique qui ne sert que les intérêts des chefs d’État et des officines qui la financent.
Nous proposons quant à nous, en lieu et place d’une force anti-putsch que suggère Emballo, la redynamisation de l’ECOMOG (qui a déjà fait ses preuves au Liberia, en Sierra-Leone et en Guinée Bissau) pour faire face à ces mercenaires camouflés en djihadistes dans le Sahel… La région ouest africaine n’a pas besoin d’une force anti-putsch, mais une armée de combattants intrépides déterminés à pacifier et à stabiliser la région. La lutte contre le djihadisme est plus urgente que celle contre les putschs. Et ni la France, ni la Russie ne constituent une véritable option pour la libération de ces pauvres populations. Nous pourrons toujours conclure ou maintenir des accords de coopération militaire axés sur la logistique ou le renseignement, l’option efficace réside dans la solidarité Africaine. Une force de combattants féroces doit être créée, formée et équipée de façon sophistiquée. L’état de guerre doit être déclaré dans les territoires occupés. Les États concernés doivent fournir le plus grand nombre de combattants. La liberté a un prix, et cela dépasse de simples discours de bravade. Les autorités maliennes et burkinabés doivent traduire leur bravoure en actes.
Que Dieu bénisse l’Afrique
Paix aux victimes du djihadisme en Afrique
Paix aux soldats morts pour le Mali et pour l’Afrique.
Pour le Front Républicain de Guinée
Kémoko CAMARA, Porte-parole