Lorsque le Président Sékou Touré dénonçait le système colonial et ses affres, les petits corrompus de l’époque en manque d’ambition le traitaient de jaloux et de perturbateur, tout en exhibant leurs petits biens matériels acquis par le biais du pillage et de l’exploitation des masses. Certains exhibaient leurs plantations qu’ils avaient acquises presque gratuitement, et où ils exploitaient et sous-payaient les prolétaires. Mais c’est bien Sékou Touré qui pourtant permis aux masses de détenir de vastes domaines et d’intrants agricoles. C’est lui surtout qui fit engager des réformes agraires permettant aux anciens « indigènes » d’être propriétaires. C’est bien Sékou Touré qui fit aménager des immenses fermes agricoles à Monchon, à Dabola, à Famoïla(Beyla), à Lola et partout à travers le pays, permettant aux masses d’être paysans propriétaires et de vivre de leur labeur. C’est surtout lui engagea des politiques publiques efficaces permettant de ravitailler plus de 70 % du marché national. Et ce à quelques années seulement de notre indépendance. (voir les chiffres officiels). Mais il n’avait pas de plantations personnelles.
Parce que la responsabilité d’un administrateur public, ce n’est pas l’enrichissement personnel. La mission de service public vise la satisfaction sociale, l’assouvissement d’un besoin à dimension publique. Pas l’enrichissement personnel de l’élite dirigeante. Ceux qui veulent s’enrichir s’engagent dans l’entrepreneuriat dont l’objectif principal est la recherche du profit. Mais pour ceux qui veulent gérer les biens de l’État, le développement national reste l’objectif fondamental. Ils doivent faire preuve d’ambition pour tout le peuple, et renoncer à l’enrichissement strictement personnel. C’est comme l’enseignement dont l’objectif est l’élévation de la société par le savoir, la lumière. La mission de service public est un grand engagement, une vocation à consacrer sa vie pour l’amélioration de celles de ses semblables. Le progrès social est pour le serviteur du peuple, ce qu’est le profit pour l’entrepreneur.
C’est à juste titre que l’article 51 de la loi L2019/0027-AN du statut général des agents de l’État interdit aux agents publics de créer ou de gérer directement ou indirectement une activité privée à but lucratif. C’est à juste titre que l’article 50 de la même loi impose aux agents publics de consacrer l’essentiel de leurs temps et efforts à leurs respectives tâches administratives. Quant à l’article 52 de la même loi, bien qu’il attribue quitus au président la prérogative du décret pour autoriser certaines activités privées, il précise cependant que ces activités devront relever du domaine de compétence des agents concernés: notamment le conseil, la consultance, etc. C’est justement pour éviter le conflit d’intérêts, et permettre aux fonctionnaires d’être plus productifs dans la satisfaction de l’intérêt général.
Au-delà même de l’aspect juridique, il est utopique de croire que l’aménagement de 50 hectares par chaque ministre suffirait à combler un quelconque déficit. Un gouvernement ambitieux se serait enorgueillit d’avoir permis ou facilité aux groupements paysans d’accéder aux fonds et intrants nécessaires à la maximisation de leurs productions. Un gouvernement ambitieux aurait au lieu de continuer à subventionner les importations, plutôt subventionné la production nationale. Un gouvernement de refondation n’aurait-il pas d’abord réalisé un diagnostic complet de la faillite du secteur de la paysannerie, avant d’implémenter un logiciel nouveau permettant de transformer en profondeur ce secteur?
Mais en jouant au défilé top-modèle exhibitionniste, en brandissant leurs hectares obtenus dans des circonstances floues, les membres du gouvernement du CNRD ont démontré leurs véritables intentions : l’enrichissement personnel. Sinon quelle connotation donner à l’action des membres d’un gouvernement qui affichent des hectares que leurs revenus ne peuvent leur offrir? Quelle est l’opportunité pour un gouvernement qui n’a engagé aucune réforme sérieuse sur le plan agricole, de détenir des hectares? La refondation dont on se gargarise, c’est donc l’enrichissement personnel pour les commis de l’État ? Et après le passage du ministre de l’agriculture, tout guinéen conscient a constaté l’absence de vision et de projet de refondation.
En effet, le passage du ministre de l’agriculture sur FIM fm ce vendredi 28 octobre confirme mes réserves quant au déficit de vision claire de refondation de l’État. Le ministre est apparu tel un employé au backoffice qui exécute la procédure, la routine administrative d’un logiciel implémenté. A entendre le ministre, l’agrobusiness serait une activité secondaire à laquelle l’élite pourrait s’adonner à côté de sa principale activité. Quel manque de vision que de considérer le secteur porteur de croissance comme une activité secondaire! Quels refondateurs êtes-vous ? Les spécialistes au développement ont dû se marrer à gorge déployée devant l’inconsistance de notre ministre. D’abord, il propose la disponibilité des fonds à disposition du secteur privé, et l’ouverture du marché aux investisseurs étrangers. En analysant ses deux mesures, je voudrais dire au ministre :
l’agrobusiness n’est pas une activité secondaire que les membres de l’élite (hauts fonctionnaires, managers, avocats, journalistes…) devraient exercer à côté de leurs métiers. Hormis le fait que ça soit le secteur le plus porteur en termes d’employabilité et de croissance économique, l’agrobusiness devrait être le socle du modèle de développement pour un pays comme le nôtre (à cette phase de notre développement). La principale réussite des membres du CNRD, ce n’est pas leurs plantations personnelles acquises dans des conditions floues. Le défi majeur est de réussir à organiser les paysans, à les professionnaliser, les équiper, les soutenir financièrement et rendre révolutionnairement attractive leur activité. Le défi du ministre, c’est de valoriser la paysannerie et le paysan. Une fois enrichis, développés, les paysans deviendront les bailleurs de fonds de notre économie. Le capital, c’est plus la paysannerie que les mines. Et surtout pas la prétendue aide au développement, qui n’aide que l’État bailleur à travers le service de la dette. Le capital, c’est l’agrobusiness. Et la refondation commence par ce secteur urgentissime.
Secondo, le ministre nous informe de l’arrivée d’investisseurs étrangers dans le secteur agricole. Là, nous comprenons que le ministre ne s’y connaît pas en vérité. Il est peut être doué ailleurs, dans un autre secteur. Mais là, il risque d’être pire que ses prédécesseurs. En toute modestie, si je devais recommander les investisseurs étrangers à notre économie, c’est dans le domaine industriel et énergétique. Mais jamais dans le secteur de la paysannerie. Parce que les multinationales non seulement utilisent des procédés et méthodes non-éthiques (pesticides et méthodes moyenâgeuses) qui détruiront en un laps de temps notre environnement. Mais aussi leurs productions risquent de créer une concurrence déloyale aux entrepreneurs locaux, alors que le rôle du ministre de l’agriculture, c’est justement de promouvoir l’entreprenariat local à travers des mesures protectionnistes en faveur de nos paysans. Mais en ouvrant notre frêle marché à la concurrence, soit nous tuons nos entrepreneurs ou soit ils deviennent des sous-traitants pour ces multinationales. C’est en toute honnêteté que nous invitons le ministre à s’entourer de spécialistes en agriculture durable. Sinon il risque d’être pire que ses prédécesseurs.
La morale panafricaine nous impose de dénoncer l’attitude désinvolte des membres d’un gouvernement qui usent d’arguties juridiques pour échapper à la déclaration de leurs biens, mais qui après quinze (15) mois de gestion, viennent narguer les paysans avec des hectares acquis de manière peu éthique. Est ce là leur manière de déclarer leurs biens ? Ou bien est-ce cela la refondation dont on se gargarise ? Quel gâchis !!
Par Kémoko CAMARA