Par Ziad Medoukh
Une nouvelle année qui s’écoule, et une autre qui commence. Mais pour toute la population civile dans la bande de Gaza-une région enfermée et isolée, une enclave côtière laissée à son sort depuis plus de quinze ans- rien ne change, et cela depuis des années, voire des dizaines d’années.
Au contraire, la situation est devenue plus difficile pour plus de deux millions de palestiniens de Gaza, notamment avec la poursuite des agressions israéliennes, la nouvelle offensive en mai dernier- la quatrième en 12 ans-, le maintien du blocus inhumain, la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales très graves sur toute une population en souffrance permanente.
S’ajoute à tout cela, la construction, début décembre 2021, d’un mur de fer par l’armée israélienne entourant la bande de Gaza, un mur de 65 km de long, qui va isoler de plus de plus les Palestiniens dans cette enclave enfermée. Cette barrière « de sécurité » (selon les Israéliens) a coûté à cet état colonial plus d’un milliard de dollars. Notre réponse : tous les murs vont tomber un jour, et qu’il n’y aura jamais de sécurité pour des occupants et des colons qui enferment tout un peuple dans une cage.
Même si la bande de Gaza a continué à vivre et à exister cette année , contrairement aux rapports internationaux qui prédisaient que Gaza serait une région « invivable « , la population civile a connu une année très particulière et absolument catastrophique.
Oui, l’année 2021 a été une année terrible et chaotique à tous les niveaux surtout sur le plan sécuritaire, humanitaire et sanitaire pour ces habitants qui essayent au début de chaque nouvelle année d’oublier ce qu’ils ont vécu l’année précédente, et de former le vœu d’ un changement de leur situation épouvantable dans leur prison à ciel ouvert.
A part un petit espoir qui raccroche cette population à la vie et à l’avenir, rien ne semble avoir changé durant toute l’année 2021 pour plus de deux millions de citoyens. Au contraire, durant cette dernière année, tout est allé de mal en pis. Et je dis ici un « petit espoir » parce que le mot espoir est devenu un luxe et un privilège à Gaza.
Oui, c’est inimaginable que l’on puisse acculer un peuple, tout un peuple, à un tel désespoir.
Nous avons assisté en 2021 à une détérioration des conditions sécuritaires, économiques, sociales et sanitaires dans cette région isolée.
L’année 2021 a connu la poursuite des événements tragiques pour les habitants de cette région, enfermés et laissés à leur sort, une région abandonnée par une communauté internationale officielle dont le silence assourdissant et la passivité les a rendus complice. Mais surtout, elle n’a connu aucun changement sur le terrain.
La population civile a subi une nouvelle offensive militaire israélienne du 10 au 21 mai 2021, qui a causé la mort de 280 palestiniens, dont 69 enfants et 40 femmes, ainsi que 1947 blessés, sans oublier la destruction massive des infrastructures civiles , et des pertes économiques de 320 millions d’euros.
Sept mois après le cessez-le-feu, rien ne semble changer pour les Palestiniens de Gaza, et aucun projet de reconstruction public ou privé n’ a commencé, avec le maintien du blocus, et l’interdiction par ordre militaire israélien de faire entrer les matériaux de construction dans l’enclave palestinienne.
La poursuite de la crise sanitaire liée au Covid-19- a ajouté une lourde charge pour les habitants avec des conséquences économiques et sociales désastreuses dans cette région très densément peuplée au système sanitaire en faillite avec un manque de moyens médicaux. Cette crise a accru les souffrances de la majorité des habitants de cette enclave isolée et a augmenté leurs charges financières.
Certes en 2021, on a assisté à une baisse de nombre de morts et de cas infectés par le Covid -19. Les nouveaux variants n’ont pas tellement été repérés chez la population. Le problème de manque de vaccins aggravé en 2020, a été réglé en 2021, avec la disponibilité de plusieurs types de vaccins. Toutefois, seulement 30% de la population de Gaza a été vaccinée par une ou deux doses.
Oui, le blocus et la crise sanitaire ont aggravé une situation économique déjà fragile.
Tous les secteurs économiques et commerciaux de l’enclave palestinienne ont connu un déclin important en 2021 : leur capacité de production a diminué de 75 % selon la Chambre de commerce et d’industrie de Gaza, en raison de la faiblesse du pouvoir d’achat des habitants, qui se limitent aux dépenses de première nécessité.
Ce blocus mortel et la destruction massive ont coûté presque 1.6 milliards de dollars à l’économie de l’enclave palestinienne cette année, qui a vu son PIB par personne baisser de 20% ,et le chômage grimper de 64%, selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement publié mi-décembre 2021.
Le bureau des Nations-Unies pour le commerce et le développement ( CNUCED), a aussi souligné que Gaza a enregistré une croissance de moins de 2% cette année. Le taux de pauvreté a dépassé les 76%. Le taux de chômage est le plus élevé au monde, aux alentours de 61%. Le chômage chez les jeunes de moins de 30 ans atteint 77%. De ce fait, le nombre de familles menacées d’insécurité alimentaire atteint 75 %.
Plus de 83% de la population de Gaza dépend désormais de l’aide internationale, c’est-à-dire 4 personnes sur 5- plus de 1.500.000 personnes ont bénéficié du programme de l’aide alimentaire en 2021.
Selon ce rapport, tous les secteurs économiques et commerciaux ont été affectés. Les investissements ont pratiquement disparu et ne représentent que 1.5 du PIB. Ce qui augmente le chômage et la pauvreté dans la bande de Gaza.
« Gaza a connu l’une des pires performances économiques au monde », affirme la CNUCED qui estime qu’il est urgent de mettre fin au blocus afin que ses habitants puissent commercer librement avec le reste des territoires palestiniens occupés et le monde.
Le bureau des Nations Unies a mis en garde contre les répercussions de cette situation alarmante sur la survie de l’économie du territoire assiégé ainsi que sur la cohésion sociale. Il a appelé la communauté internationale à fournir une aide urgente et une assistance technique
La première conséquence de cette dégradation, c’est la perte de plusieurs milliers d’emplois dans différents secteurs, en particulier les travailleurs journaliers.
L’Union générale des travailleurs palestiniens a indiqué que plus de 90.000 travailleurs , employés et ouvriers de Gaza ont perdu leur emploi, totalement ou partiellement en 2021 à cause de la crise sanitaire, économique et de la destruction de plusieurs infrastructures civiles.
Même si le dernier trimestre de cette année a connu la délivrance par les autorités israéliennes de 5000 permis aux habitants de Gaza pour travailler dans des zones industrielles côté israélien, ce chiffre est insuffisant pour absorber un chômage accru dans une région détruite.
Selon le syndicat du travail dans la bande de Gaza, 450 usines et petites entreprises ont fermé leurs portes à cause de l’offensive israélienne et la destruction des zones industrielles.
90 % des travailleurs sont dépendants du revenu quotidien, et leur contribution au PIB a diminué de 40%,
Beaucoup de commerçants ont été obligés de fermer leurs magasins en raison de leur incapacité à payer les loyers .
De simples vendeurs de rue ont perdu leurs moyens de subsistance, eux qui vendaient leurs produits à bas prix dans les marchés populaires et les marchés hebdomadaires et qui avaient déjà une faible marge de bénéfices.
Le problème ne réside ici pas seulement dans l’ampleur des pertes économiques énormes, mais aussi dans la durée qui sera nécessaire pour relancer l’économie après cette année catastrophique.
Les restrictions sur les zones de pêche réduites à 6 milles marins voire moins durant l’année 2021, ont empêché les pêcheurs de gagner leur vie. Cette année a connu l’augmentation des attaques de la part de la marine israélienne contre les pêcheurs de Gaza, selon le syndicat des pêcheurs de Gaza, 130 attaques ont été enregistrées contre les pêcheurs et leurs bateaux de pêche: 2 pécheurs ont été tués, 16 pêcheurs blessés, 15 arrêtés, 46 bateaux de pêche détruits et 30 confisqués .
Les autorités israéliennes ont poursuivi leurs mesures pour détruire le secteur agricole dans la bande de Gaza qui a perdu plus de 20 millions d’euros comme pertes directs pendant l’offensive militaire. En plus des incursions militaires et des attaques contre les paysans, elles ont inondé des terres agricoles en ouvrant les vannes de barrages qui retenaient l’eau pluviale afin de rendre ces terres incultivables, et ont causé d’énormes pertes aux agriculteurs de Gaza.
Le blocus israélien inhumain et mortel est imposé de façon illégale par les forces de l’occupation depuis plus de quinze ans, et la quasi -totalité des passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur est fermée.
Concernant les passages commerciaux : actuellement, 290 à 330 camions entrent chaque jour à Gaza via le seul passage commercial situé au sud de la bande de Gaza, ouvert cinq jours par semaine, mais la moitié de ces camions sont pour les organisations internationales et leurs projets de reconstruction d’écoles et de stations d’eau.
Toutefois ce passage se referme à n’importe quel moment et sous n’importe quel prétexte, par décision israélienne unilatérale, sans prendre en considération les besoins énormes d’une population civile en augmentation permanente.
Gaza n’a droit qu’à 200 produits au lieu de 930 avant le blocus. Quelques produits et médicaments n’entrent pas, ce qui a aggravé la situation déjà difficile. Selon les estimations des organisations internationales, l’entrée de 1200 camions par jour dans la bande de Gaza serait nécessaire pour répondre aux besoins énormes de cette population. Sans oublier la liste de 65 produits toujours interdits d’entrée par ordre militaire israélien sous prétexte qu’ils ont un possible double usage.
Cette fermeture a empêché la libre circulation des importations et des exportations des biens et produits de Gaza, en particulier les matières premières, les fruits et légumes, et les produits semi-finis.
L’armée d’occupation refuse toujours l’ouverture de cinq passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur et maintient son blocus sur Gaza.
Concernant les passages pour la circulation des personnes, les deux passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur sont le passage de Rafah au sud de la bande de Gaza sur les frontières avec l’Égypte, et le passage d’Eretz au nord vers la Cisjordanie contrôlé par l’armée israélienne. Ils ont connu une faible ouverture partielle par les deux autorités durant l’année 2021 sous prétexte de la poursuite de la crise sanitaire et l’obligation d’une vaccination à plusieurs doses.
Toujours dans le cadre de la stratégie de punitions collectives, l’armée israélienne a poursuivi sa politique visant à empêcher les malades d’aller se soigner dans les hôpitaux de la Cisjordanie. Selon le Centre palestinien pour les droits de l’Homme de Gaza, en 2021 l’occupation israélienne a empêché 2700 patients de quitter la bande de Gaza pour se faire soigner et recevoir un traitement en dehors de l’enclave assiégée, notamment pour les maladies chroniques et graves. Et les rares patients qui ont été autorisés à quitter Gaza pour des raisons médicales, ont été soumis à un interrogatoire sur le passage d’Eretz par l’armée israélienne. Cette armée a arrêté 46 palestiniens sur ce passage. Une pratique dénoncée par les organisations des droits de l’Homme.
Une autre difficulté concerne les baisses du financement accordé à l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies chargée des réfugiés palestiniens par plusieurs pays, malgré toutes les promesses de soutenir cette organisation. Par conséquent, l’organisme ne parvient pas à payer ses fonctionnaires, ni à continuer à s’occuper de 65% de la population de Gaza, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.
Dans cette situation très difficile, l’aide internationale même limitée a participé à empêcher un effondrement total dans cette région densément peuplée, néanmoins elle a créé une dépendance humanitaire au lieu d’encourager le développement local.
Suite à cette situation catastrophique dans la bande de Gaza, nous sommes passés d’une économie familiale non-violente à une économie dépendante de l’occupant et des organisations internationales.
Un autre problème grave qui est resté sans solution concerne la pénurie d’électricité partout dans la bande de Gaza, durant toute l’année 2021 , chaque foyer à Gaza avait droit à 6 à 8 heures de courant électrique par jour, et rarement 8 heures. Parfois, les foyers sont restés deux ou trois jours sans électricité, en particulier durant les bombardements israéliens intensifs et la fermeture totale des passages, les forces d’occupation israélienne réduisant la fourniture d’électricité à cette région sous blocus, afin de faire pression sur la population civile résistante.
Cette décision arbitraire aggrave la crise humanitaire dans une région en souffrance permanente, et met en danger les infrastructures sanitaires et en particulier les hôpitaux.
Cette pénurie d’électricité a des conséquences sur tous les secteurs vitaux dans cette région. Beaucoup d’usines ont été fermées.
Outre ces coupures, à Gaza, c’est la pénurie d’eau. En effet, tous les puits municipaux qui approvisionnent les habitants fonctionnent à partir du courant électrique.
Concernant l’eau : en 2021, à peine 9% des puits d’eau potable de Gaza sont propres à la consommation humaine. Les bombardements israéliens réguliers ont encore touché les infrastructures comme les aqueducs et les systèmes d’égout. De plus l’aquifère est de qualité médiocre ce qui fait que 90% des puits d’eau potable à Gaza sont en dessous des normes minimales de santé pour la consommation humaine.
L’eau à Gaza est devenue rare et contaminée. Et avoir une eau potable saine et propre est devenue quasiment impossible pour les habitants.
Les dommages causés aux canalisations d’eau et d’assainissement ont été immenses. En décembre 2021, plus de la moitié des palestiniens de Gaza n’avait plus aucun accès à l’eau selon le rapport de l’Autorité de l’eau de Gaza.
Cette catastrophe de l’eau et du traitement des eaux usées a causé une forte augmentation de maladies d’origine hydrique et alimentaire.
Cette situation est devenue très grave en 2021, avec le renforcement du blocus israélien sur la bande de Gaza, la quatrième offensive militaire contre cette enclave isolée en mai dernier qui a causé la destruction de beaucoup de puits et d’usines de désalinisation dans cette région enfermée, et récemment la crise sanitaire liée à la Covid-19, avec des conséquences dramatiques sur tous les secteurs vitaux. L’armée israélienne bloque toujours l’entrée de centaines de pièces de rechange vitales pour le fonctionnement des systèmes d’eau et d’épuration, en conséquence, l’eau usée partiellement traitée est relâchée dans la mer, et les fuites d’eau des canalisations sont importantes, s’ajoute à tout cela le débordement des eaux de pluie qui cause des inondations terribles chaque hiver.
Sur le plan politique au niveau interne et externe, l’année 2021, a connu plusieurs évènements dramatiques pour les Palestiniens comme la poursuite de la politique américaine négligeant les revendications du peuple palestinien, malgré l’arrivée d’un nouveau président , mais surtout la normalisation officielle de plusieurs régimes arabes avec l’occupation israélienne .Ces évènements ont aggravé la situation déjà critique, et ont éloigné une solution du conflit, et ont participé à isoler les Palestiniens.
L’absence d’ unité nationale et l’échec des efforts de réconciliation inter palestinienne, avec la non- tenue des élections législatives et présidentielles dans les territoires palestiniens ont aggravé l’amertume des habitants de la bande de Gaza, qui attendent depuis des années cette réconciliation nationale et ces élections afin d’améliorer leurs conditions de vie et mettre fin à leur souffrance.
L’aspect le plus grave de toute cette situation difficile des habitants de la bande de Gaza et qui marque l’esprit de la majorité des habitants est l’absence de perspectives pour ces gens qui ne voient aucun changement, qui constatent que les choses n’avancent pas, ne bougent pas, à tous les niveaux : réconciliation, fin de division, amélioration de leur condition de vie, ouverture des passages, levée du blocus, processus de paix, fin d’occupation. Ce sont des sentiments horribles qui vont influencer l’avenir de cette génération, surtout celle des jeunes, qui commencent à perdre tout espoir en un avenir immédiat meilleur.
Finalement, une fois encore la bande de Gaza a vécu une année dramatique et une situation humanitaire catastrophique alourdie avec la nouvelle attaque israélienne sanglante, et ses conséquences dramatiques sur les deux millions de Palestiniens qui y vivent et sont de nouveau laissés à leur sort par l’occupation et par une communauté internationale officielle silencieuse, passive et complice.
C’est vrai que ces Palestiniens de Gaza à la vitalité pleine de ressources impressionnent le monde par leur capacité extraordinaire à s’adapter avec cette nouvelle crise sécuritaire, économique, sanitaire et sociale dévastatrice, et à supporter l’insupportable, au travers une solidarité familiale et sociale remarquable et des liens sociaux forts, avec quelques aides internationales limitées.
Pour les Palestiniens de Gaza confiants et déterminés, il ne reste qu’une alternative, résister sur leur terre, rester à côté des ruines de leurs maisons détruites, avec leur seule arme, le courage, et surtout espérer un changement radical, pour une solution politique qui leur permettrait de vivre libres à Gaza, de vivre libres en Palestine.
La population civile se bat quotidiennement pour survivre dignement sur sa terre en résistant et existant.
Oui, les Palestiniens de Gaza essaient simplement de mener une vie aussi normale que possible dans des conditions extrêmement anormales.
Mais la question qui se pose à la fin de chaque année : jusqu’à quand cette souffrance pour cette population civile enfermée, agressée et abandonnée ?
Comme chaque année, espérons pour 2022.