TRIBUNE – Le spectacle auquel se donnent les usagers de la route à Conakry est un bon indicateur pour s’apercevoir à n’en pas douter, que le climat social en Guinée est délétère. La rue est devenue un ring où les conducteurs se menacent, s’insultent et parfois se battent. Ces gestes s’amplifient si une altercation surgie entre deux conducteurs d’ethnies différentes. À Conakry, il suffit de savoir appuyer sur les pédales d’un véhicule, manœuvrer la boite à vitesse pour devenir conducteur. L’incivisme a atteint une proportion telle que le Code de route est foulé au sol au risque et péril de la population qui pourtant, finance la construction et l’entretien de ces routes.
Le fait le plus troublant, est que le désordre que connaît la circulation routière est entretenu par les conducteurs des véhicules officiels immatriculés VA, AG et GN. Pourtant, tous ces véhicules sont achetés, carburés et entretenus dans l’argent du contribuable guinéen et ce sont eux qui sont les premiers à déboiter dans les lignes de la circulation pour importuner les contribuables. Cela ressemble à un père de famille qui achète un jouet pour son fils qui l’empêche de dormir avec le bruit de ce jouet. Cette arrogance de nos décideurs qui exaspère le peuple de n’être ni entendue, ni considérée, est l’une des causes du désaveu des citoyens à leur égard.
Dans tous les pays du monde, seules des motos spéciales symbolisent le cortège qui fait obligation à tout conducteur de céder le passage. Les véhicules de la police en missions, des sapeurs-pompiers, les ambulances disposant de moyens d’alerte ne sont pas souvent précédées de motards. Sans cortège qui indique le caractère officiel d’un déplacement, tous les citoyens sans exception doivent suivre correctement la file des voitures dans la circulation.
Les mouvements d’une autorité en aller-retour entre son domicile et son lieu de travail ou à travers la ville ne sont pas des missions officielles et par conséquent elle à l’obligation de respecter les règles de la circulation routière même si elle est dans son véhicule de service. Combien d’actes administratifs ont étés pris pour interdire les cortèges intempestifs sans suite ?
Quand les décideurs sont les premiers à violer l’autorité de l’Etat qui est le ciment de leur pouvoir, le désordre s’installe, la hiérarchie est brisée et les sanctions ne s’appliquent plus. C’est ce comportement des administrateurs qui justifie en partie l’attitude désinvolte des autres conducteurs à l’égard des agents de la police routière.
L’Etat doit bomber ses biceps pour réduire l’abus des administrateurs sur les administrés dans la circulation. L’emploi de la force par l’Etat n’est pas seulement un droit, c’est aussi un devoir.
Ces faits remontent à l’avènement du Comité Militaire de Redressement National, (CMRN). C’est depuis ce temps que le personnel des forces de défense et de sécurité en tenues ou même un béret déposé sur le tableau de bord de leurs véhicules personnels et les détenteurs des voitures de fonctions VA, AG, GN et EP se sont « exemptés » du respect du Code de la route comme pour dire aux autres usagers que la loi ne s’applique qu’aux faibles. Pourtant ces véhicules sont les propriétés exclusives du contribuable. S’ils ne sont pas exploités que pour des raisons de service comme cela devrait être, de grâce que l’usager d’un tel engin n’importune pas le propriétaire légitime.
La circulation routière à Conakry est devenue une jungle où le droit est au conducteur audacieux, donc le plus malveillant qui n’hésite pas à foncer sur l’autre pour l’effrayer afin qu’il lui cède le passage. Tout le monde est pressé, personne ne veut céder, on déboite de gauche à droite et au finish la circulation est totalement bloquée en tous sens.
Les conducteurs de Conakry pensent que l’embouteillage est anormal. Pourtant, il n’y a pas une seule métropole au monde où il n’y en a pas. Qui n’a pas vu ne serait-ce qu’à la télévision des kilomètres de bouchons bien ordonnés sur les routes en Europe ? Qu’on n’accuse pas alors le problème de routes puisqu’il y en a suffisamment en Europe.
Certainement que la configuration géographique de Conakry, l’aménagement, le nombre et l’étroitesse des routes en sont pour quelques choses dans les embouteillages que nous connaissons tous les jours en tout lieu et à tout moment. Mais si nos cœurs n’étaient pas plus étroits que nos routes, si l’on s’aimait, s’acceptait, se respectait en respectant les règles de la circulation routière, la souffrance quotidienne que connaît la population allait être allégée.
Le nombrilisme, le manque d’empathie et de sympathie entre nous mettent en cause l’un des fondements de notre République qu’est la Solidarité, mot contenu non seulement dans notre devise, mais constitue le socle de tout regroupement d’êtres vivants car, même les animaux sont solidaires. Mais à observer le comportement des uns et des autres dans les rues à Conakry, on peut affirmer sans risque de se tromper que le mot solidarité n’existe plus dans notre vocabulaire, pourvu que ça ne soit pas pour toujours car, un peuple qui ne s’aime pas n’a pas d’avenir.
Est-ce que les auteurs d’inconduites dans la circulation réalisent le nombre de Guinéens victimes d’attaque cardiaque ou d’autres maladies qui ont perdu la vie pour un retard de quelques minutes occasionné par l’anarchie volontaire créée sur la route avant d’arriver à un centre de soin ? Combien de femmes ont accouché dans une voiture ou sont mortes en travail par leurs fautes ? Combien de dégâts matériels ou de pertes en vie humaine lors d’incendies parce les sapeurs-pompiers n’ont pas trouvé de passage? Combien de passagers ont raté leurs vols ? Combien d’hommes d’affaires ont manqué à un rendez-vous et qui ne sont plus jamais revenus ?
Pire, ils n’imaginent pas que ces cas pourraient les arriver un jour ou à un des leurs pour se discipliner dans la circulation afin que le Code de conduite de Rousseau permette de sauver des vies par la mise en valeur des feux de détresse, la promptitude des forces de sécurité, la facilité de circulation des ambulances, réduire les dégâts lors des incendies par la rapidité d’intervention des sapeurs-pompiers.
Ces risques ne seront pas évités parce que le Guinéen pense que le malheur n’arrive qu’aux autres. Pourtant, la socialisation du risque qui le socle de la vie en société devrait amener chacun de nous à se dire qu’en obstruant la circulation, je mets en danger la vie d’une personne et que ça pourrait être moi-même ou un proche un jour.
Les véhicules des cortèges ont fauché combien de personnes, soit par inconduite de certains, soit par infiltration consciente ou inconsciente. Pourtant une mesure très simple peut mettre fin ou réduire ces cas d’incidents. Il suffit juste d’instaurer que chaque cortège soit précédé d’un motard (flèche) et fermé par un autre. Ainsi, personne ne s’aventurera sur la route avant le passage du dernier motard.
Aussi, les véhicules de fonction VA, AG, GN, EP etc. doivent suivre la file de la circulation et la police routière doit avoir l’autorisation d’interpeller tout contrevenant. Cela était possible au Mali dans les années 70 sous le régime militaire du Général Moussa TRAORE. S’il arrive qu’une autorité soit en retard pour un rendez-vous officiel, il peut à tout moment et en tout lieu recourir au service des motards créer et entretenu par l’Etat à cet effet avec une interdiction formelle de l’emploi des motards par des particuliers.
La délinquance dans la circulation a atteint une proportion à Conakry que même un chauffeur d’un véhicule officiel ne doit plus ralentir sur la route à plus forte raison suivre un embouteillage, les ambulances sont toujours en urgences de sorte que le nombre de sirènes qui ronronne par jour à Conakry dépasse celui d’une autre capitale en une année. Ces délinquants sur la route oublient qu’ils aggravent les principaux mobiles (économie de carburant ou gain en temps) qui les poussent à un tel comportement car, une circulation totalement bloquée entraîne plus de consommation en carburant et lubrifiant, plus de perte de temps, plus d’usure de son véhicule, plus de fatigue et de stress, facteurs d’accident.
Aux conséquences du non-respect généralisé du code de route à Conakry s’ajoutent le désamour des administrés vis-à-vis des administrateurs, l’image du pays est ternie et les investisseurs sont découragés. Ne dit-on pas qu’un homme d’affaires qui part amène cent avec lui. La circulation routière est un puissant baromètre de l’indice du séreux dans un pays. Savez-vous que par la discipline du peuple canadien dans la circulation le Gouvernement fait des économies sur la consommation en courant électrique ?
Dans certaines villes canadiennes au lieu de réguler la circulation à certains carrefours par des feux sémaphoriques (tricolores), des panneaux avec la mention STOP suffisent pour que chaque automobiliste freine et le départ est fait dans un ordre qu’eux seuls ont le secret.
Conakry est presque la seule capitale où il n’y a pas de parkings aménagés et pourtant les véhicules sont remorqués tous les jours contre paiement de montant faramineux pour mauvais stationnement. Un père de famille peut-il s’en prendre à son fils qui n’a pas de chambre d’avoir découché ?
S’agissant des motocyclistes, ils sont de véritables hors la loi en Guinée. Moins la plaque d’immatriculation, aucune autre restriction de la circulation routière ne s’applique à eux. La circulation routière à Conakry est un véritable parcours du combattant. Tous les travailleurs arrivent fatigués et stressés tous les jours à leurs lieux de travail avec pour conséquence la baisse de performance.
Pour alléger la souffrance de la population dans le bourbier de la circulation routière à Conakry, les agents de la police doivent être formés, équipés, moralisés, rémunérés et les autorités doivent donner l’exemple.
Sékou Djadaya CAMARA
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