Messieurs de la CEDEAO,
Je vous fais part de mon indignation suite à la volonté de la CEDEAO d’organiser une intervention militaire au Niger. C’est une grande colère et une profonde exaspération qui m’affectent car une telle décision est le projet d’une poignée de politiques dont certains d’entre eux sont immensément contestés par leurs peuples et au-delà de leur continent.
Messieurs de la CEDEAO,
Votre projet d’intervention militairement au Niger ne fait pas l’unanimité. C’est une décision qui ne fait que confirmer que le vase déborde. Quel sens pourrait avoir l’usage de la force de la part d’une CEDEAO – une structure d’intégration, doit-on le rappeler- À quoi bon tout bouleverser puisque bientôt le soleil allait luire ? Je ne vais pas m’attarder, un instant, sur l’échec de l’objectif de la libre circulation des personnes et des biens, mais juste m’élever contre une intervention militaire au Niger. Cette lettre est écrite pour dénoncer le comportement de ceux qui empruntent la voie de l’ouvrier de la discorde. Ma lettre vient rompre le silence car je ne veux pas être complice. Cette lettre est écrite pour rappeler qu’entre mes mains je tiens ma liberté ainsi que ma solidarité comme il en est le cas de nombreuses populations, d’ici et d’ailleurs, animées par un esprit de justice et qui ne veulent pas se rendre complices d’une tragique décision.
Messieurs de la CEDEAO,
Je suis indigné parce que je ne veux pas me rendre complice d’une décision de guerre entre africains prise à partir des salons feutrés. Je condamne au plus profond de moi ces « bureaux de la guerre » où se bousculent, au prix d’une sucette amère, des acteurs de la presse gracieusement entretenue pour exercer une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir une décision impopulaire prise par des politiques peu attentifs aux aspirations de leurs peuples. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’Afrique qui a tant souffert et pourtant qui a droit au bonheur. Mon indignation est le cri de mon âme. Elle est le cri d’une personne qui a connu et vécu avec des peuples du Niger, de Maradi à Agadez et de Tillabéry à Diffa. Elle est le cri d’une personne qui a longuement échangé avec ses frères et sœurs Haoussa, Zermas-Songhaï, Peul, Touareg et Kanuri.
Messieurs de la CEDEAO,
Votre institution est incontestablement divisée et en cas d’intervention militaire au Niger elle ne sera plus en mesure d’unir ses peuples. Votre institution a suffisamment déstabilisé des aspirations nationales et en cas d’intervention militaire au Niger elle continuera à menacer les libertés fondamentales de ses peuples. Votre institution semble être incapable d’offrir des réponses à ses peuples et en cas d’intervention militaire au Niger les migrations dans le Sahel vont s’intensifier ; l’agriculture et l’élevage seront définitivement abandonnés ; l’insécurité et la malnutrition qui rythment le quotidien des populations vont davantage prospérer ; etc. A la place d’une intervention militaire, votre institution devrait plutôt lutter efficacement contre toute forme de discrimination et de propagation d’idéologies nauséabondes qui prospèrent journellement. Notre conviction est que les voies de règlement pacifique de la crise ne sont pas encore épuisées.
Messieurs de la CEDEAO,
La CEDEAO devrait faire face aux conséquences désastreuses de l’austérité matérialisées par des systèmes de santé submergés par les pandémies et des filets de sécurité sociaux dépassés. La CEDEAO devrait faire face aux multiples offensives sur les conquêtes sociales, aux inégalités sociales, etc.
Messieurs de la CEDEAO, votre mission, je me permets de vous la rappeler est d’étendre les droits sociaux, de faciliter la mobilité des peuples, de mettre un terme à l’inégalité de traitement des travailleurs, de garantir un socle de droits sociaux, d’améliorer les conditions de travail, de défendre la paix, de mettre un terme aux importations d’armes et aux régimes oppressifs, de soutenir des espaces de dialogue diplomatique régionaux et internationaux, de conquérir l’égalité, de combattre toutes les formes de discriminations liées aux origines, au sexe, au handicap, de renforcer la démocratie, de revoir la répartition du pouvoir entre les institutions pour les rendre plus démocratiques et transparentes, d’introduire de nouvelles formes de participation comme une initiative citoyenne.
Je suis indigné car votre projet ne doit pas se faire en mon nom. Martin Luther King nous apprend que « celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui ».
Par Aly Tandian
Sociologue. Professeur des Universités, CAMES, Université Gaston Berger de Saint-Louis. Sénégal