TRIBUNE – Au regard des derniers événements, nous devons désormais aborder avec plus de sérieux la question des violences lors des rassemblements en Guinée. Le fait qu’un jeune ait été poignardé et laissé pour mort par ceux qui voulaient exprimer leurs colères face nous dit-on, à la hausse des prix des produits pétroliers, est la preuve que le narratif selon lequel seules les forces de sécurité tuent est un narratif mensonger. Et le fait qu’un autre ait été tué par balle est la preuve que la police nationale doit continuer ses reformes et que des mesures coercitives doivent être envisagées dans ce sens. Heureux de constater l’évolution de l’enquête sur les circonstances réelles de cette mort, en espérant qu’une autre enquête soit ouverte sur les circonstances réelles des violences qui ont occasionné l’agression physique avec armes contre une famille à Bomboli.
En effet, si les manifestants ont le droit de manifester leur colère, ils ne doivent cependant pas exercer des violences armées sur des citoyens qui vaquent à leurs occupations. Parce que la constitution et les lois supra-nationales qui prévoient la liberté de manifestation et de réunion, insistent surtout sur le caractère pacifique de cette liberté. La déclaration universelle des droits de l’homme en tant que texte référentiel, stipule en son article 20 : « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». Étant donné que des citoyens ont été violentés, l’un d’eux poignardé et laissé pour mort, pouvons-nous qualifier cette déferlante de violences de manifestation ? Étant donné que cette liberté est devenue une arme politique pour destabiliser les régimes et fragiliser les institutions, N’est-il pas impératif de requalifier et mieux encadrer le cadre juridique des manifestations en Guinée ? N’est-il pas impératif de distinguer aujourd’hui les manifestations des attroupements, comme c’est le cas dans tous les pays qui ont la même forme républicaine que le nôtre ?
En France par exemple, c’est le code de la sécurité intérieure en ses dispositions L211-14 qui encadre les manifestations publiques. Outre cette loi constitutionnelle, la convention européenne des droits de l’homme en son article 11, fixe le caractère pacifique de la liberté de manifestation sur toute l’étendue du continent: «Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts». Au regard donc des derniers événements, il est impératif de requalifier le cadre juridique des manifestations, de distinguer de manière tranchée les manifestations des attroupements. Ce passage de la loi L211-14 du code de la sécurité intérieure (France) en est une parfaite illustration :
« Manifestation : groupe de personnes utilisant la voie publique pour exprimer une volonté collective. Si elle est mobile c’est un cortège, si elle est immobile c’est un rassemblement. Le rassemblement n’a rien d’illicite, sauf si menace à l’ordre public. Dans ce cas de figure, la manifestation doit être pacifique et déclarée pour qu’elle soit encadrée par la puissance publique. Par contre, le caractère pacifique de la manifestation doit être assuré et garanti par les organisateurs et l’encadrement de la manifestation relève de la responsabilité de la puissance publique.
Attroupement : tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. Interdiction totale. Dans ce cadre, l’État doit sévir pour protéger les citoyens et leurs biens de la violence exercée par les émeutiers.»
Sans nier le crime du jeune Thierno Barry à Hamdallaye, il faut avoir l’honnêteté de condamner cet attroupement d’individus désireux d’exercer la violence. La loi qui définit et encadre les manifestations ne reconnaît pas de statut juridique aux manifestations spontanées en Guinée. Ce narratif relève d’un verbiage complaisant envers les indisciplinés qui eux, constituent un autre problème au plein exercice de la liberté de manifestation en Guinée.
Sur le plan politique, comment expliquer que la hausse du coût du baril du pétrole sur le plan international ait occasionné en quelques heures une telle déferlante de violences causant un mort et un blessé grave?
Nous savons tous que cette hausse est un choc exogène conjoncturel, c’est-à-dire un facteur étranger qui impacte de façon involontaire et momentanée la vie économique dans nos pays. L’an dernier sous le gouvernement Kassory, je disais la même chose, je cite: « Il faut préciser que l’augmentation du prix des produits pétroliers dépasse le cadre national, elle est due à un choc conjoncturel exogène. C’est à dire qu’un facteur incontrôlé est venu bouleverser la vie économique nationale. En effet, voulant subjuguer les effets de la crise sanitaire, les pays de l’OPEP ont décidé de spéculer sur le coût du pétrole. Chaque chose étant égale par ailleurs, cela s’est répercuté sur l’économie mondiale. »
Donc un événement exogène ayant des répercussions sur tous les pays du monde, ne peut justifier une telle déferlante de violences. Les prix des produits pétroliers ayant grimpé partout en Afrique et ailleurs dans le monde, aucune raison valable ne peut justifier des violences en seulement quelques heures. Ceci ne relève pas simplement d’un déficit démocratique, il faut y voir aussi une indiscipline et une forme de manipulation de masses. Sinon comment expliquer l’agression avec armes contre des citoyens à Bomboli? Comment expliquer que des personnes qui sont censées valablement manifester leur désaccord dans les limites prévues par la loi, le font avec des armes ? Comment expliquer le fait que ces attroupements se déroulent jusqu’à tard la nuit ?
Tout cela contraste avec les dispositions qui encadrent la liberté de réunion ou le droit de grève et de manifestation.Pour toutes ces raisons, nous soutenons l’interdiction des manifestations en Guinée jusqu’à ce que des potentiels organisateurs offrent de véritables garanties de pacification. C’est le lieu de préciser que le caractère pacifique des manifestations est garantit par les organisateurs. Les autorités ont eux, le devoir de les encadrer pour protéger les citoyens et leurs biens, et aussi pour maintenir l’ordre public.
En vous rappelant aux limites de la liberté de réunion et de manifestation, nous recommandons des littératures sur « la suspensibilité des droits constitutionnels en période d’exception ». Le Professeur Abdoulaye Soma et Cyriaque T DABIRE du Burkina Faso en sont des spécialistes. Nous devons tous travailler à la stabilité politique et sociale de la République. Il faut donc envisager l’encadrement juridique des rassemblements en Guinée. Il faut juridiquement distinguer les manifestations des attroupements et des émeutes, pour que chacun sache ce qu’il en est. Les intellectuels guinéens doivent produire et soumettre aux autorités des pistes de solutions pouvant prévoir et résoudre ce problème de façon structurelle. Les acteurs politiques doivent quant à eux, s’investir avec pédagogie dans l’éducation militante au lieu d’user de ces manifestations comme armes de destabilisation et de fragilisation des institutions de la République. L’objectif du droit positif est de codifier la société en tenant compte de ses particularités.
Que Dieu bénisse la Guinée et les guinéens !!