Si l’organisation d’un débat citoyen sur l’orientation de la nouvelle constitution peut être perçue comme salutaire, elle n’en demeure pas moins l’expression éloquente de l’échec des assises nationales. Rappelons que c’est les conclusions des assises nationales qui devraient initialement servir de substrat pour l’élaboration d’une nouvelle constitution. Parce que les assises nationales devraient aboutir à l’émergence d’un système politique nouveau. Donc l’organisation de ce débat citoyen n’est qu’une solution d’appoint face à l’échec des assises nationales. Et croire que l’élaboration d’une nouvelle constitution suffira à résoudre le problème politique de la Guinée, est un manque de réalisme.
Ayons le courage de la vérité !Nous n’avons pas de problème de constitution en Guinée, nous avons un problème de système. Et la solution réside dans une rupture paradigmatique. La rédaction d’une nouvelle constitution est certes une nécessité, mais elle ne suffit pas à résoudre le problème de façon structurelle. Si nous voulons éviter la conflictualité politique que nous avons connue ces dernières décennies, l’émergence d’un nouvel ordre politique est un impératif. Si nous voulons éviter des affrontements inter-ethniques lors des prochains scrutins, si nous voulons éviter la monarchisation… l’émergence d’un autre système et d’une autre forme démocratique est un impératif.
C’est la raison fondamentale de notre appel en faveur de l’implication de tout ce que notre pays compte de cerveaux pour donner une meilleure orientation à notre pays, en vue de produire un système propre de démocratie, qui satisfasse au besoin fondamental de régulation et de légitimation de la vie nationale. Rappelons que l’idée de la refondation, c’est une rupture paradigmatique, c’est-à-dire l’émergence d’un nouvel ordre politique. C’est le lieu d’en appeler aux intellectuels (es) intègres comme Justin Morel JUNIOR, El Lelouma DIALLO, Dr Alioune, les constitutionnalistes Mohamed CAMARA, Dr Zogbelemou TOGBA et tant d’autres dont l’expertise pourrait nous être utile. Quant à nous, voici ce que nous proposons :
Restaurer les mécanismes de souveraineté populaire
l’indépendance n’a de sens que si elle peut permettre au citoyen de savourer les délices de sa liberté. La souveraineté populaire appartient au peuple qui l’exerce directement à travers des structures démocratisées à la base: le veto populaire, l’initiative populaire, le mandat impératif, les structures populaires de base, un droit d’initiative au niveau législatif… Nous pensons également proposer la
constitutionnalisation du référendum d’initiative citoyenne ou populaire, permettant aux guinéens de pouvoir proposer, refuser ou améliorer les lois auxquelles ils sont soumis
L’instauration d’un système de démocratie semi-participative
La démocratie semi-participative est la forme la plus appropriée pour les pays comme les nôtres, et nous la proposons énergiquement contre ceux qui la jugent inefficace, trop lente ou même dépassée. La démocratie semi-participative est supérieure à la démocratie exclusivement parlementaire en ce que le peuple souverain peut exercer son pouvoir non seulement en élisant le Parlement, mais aussi en prenant position régulièrement sur des sujets d’intérêt spécifiquement vital depuis des structures démocratisées à la base.
Nous voulons un ordre social nouveau. Un ordre social « inclusif » qui englobe chaque citoyen, un système qui n’exclue personne et qui vise à associer et à faire participer chaque guinéen à la vie de la société, depuis des structures de base.
La double fonction du mandat impératif sur le mandat représentatif
la plus grande réussite du système semi-participatif, c’est qu’il peut permettre à la fois au citoyen de
participer à la vie démocratique, sans pourtant renoncer à sa représentation nationale. Ce qui facilite cette double fonction. Le mandat impératif permet au citoyen électeur de solliciter auprès de la représentation nationale, la révocation d’un élu s’il est établi que ce dernier ait trahi ses promesses de campagne.
L’enracinement local de notre modèle démocratique
Autant la forme démocratique de l’État nous tient à cœur, autant il nous importe aussi de fixer ses limites. Parce la démocratie est la dictature de la majorité, il faut éviter que les majorités une fois au pouvoir, puissent abuser de leurs mandats comme nous le voyons aujourd’hui. Raison pour laquelle des structures locales devraient être mises en place pour que le citoyen puisse depuis son village ou son quartier, participer à la vie nationale. Ces structures de base elles-mêmes élues par les citoyens de chaque village ou quartier. Cette participation citoyenne permettra au peuple d’être maître de son destin, même s’il sera représenté par d’autres citoyens au sein de la représentation nationale.
Instaurer le financement public pour les partis les plus représentatifs
Une démocratie dans laquelle les partis sont dépendants financièrement de dons privés devient une
démocratie des lobbys et autres groupes d’intérêts financièrement puissants. Nous voulons des partis forts et libres de toute influence étrangère. Ainsi, nous proposons un financement public des partis les plus représentatifs. Et pour garantir le débat démocratique, il faudrait une loi sur la transparence et le plafonnement du financement des partis et des campagnes politiques.
Institutionnaliser l’armée comme moyen de sauvegarde de la légalité constitutionnelle
le meilleur rempart à la violation de la constitution reste l’armée. Le Président de la République, en tant que garant de la constitution peut être amené à vouloir la modifier pour se maintenir au pouvoir. Il faudrait dans ce cas, des verrous institutionnels et légaux à ce potentiel abus de pouvoir. Seul le pouvoir arrête le pouvoir. Raison pour laquelle le Haut Commandement militaire doit être institutionnalisé à faire respecter, en dernier ressort, la constitution. Elle doit veiller scrupuleusement au respect de la légalité démocratique et imposer au besoin, les principes de la constitution. En aucun cas, les officiers ou sous/officiers ne devraient profiter de la cacophonie pour prendre le pouvoir. Il est à préciser cependant que dans cette configuration, l’armée reste soumise à la constitution, pas au politique. Et si elle doit obéissance au Commandant en Chef, le
Président de la République, les ordres doivent être cependant conformes à la constitution et au code militaire.
Sortir de la culture de la conflictualité politique pour un modèle plus apaisé
En Guinée comme partout ailleurs en Afrique francophone, des tensions sociales, des déchirures politiques et sociales fusent. Nous devons sortir de la culture de la conflictualité politique en faveur d’une culture plus consensuelle, plus apaisée, plus complémentaire de la vie politique. Par exemple : En cas d’élections, un quota de 1/3 des nominations doit être réservé au parti du candidat malheureux. Sur 20 ministres par exemple, 6 ministres seront proposés par le parti du candidat malheureux. Sur 30 ministres, le quota de 10. Beaucoup de solutions du genre pourraient être mises en place pour stabiliser les institutions. Cette stabilité qui est gage de développement.
C’est avec forte conviction que nous affirmons que la Guinée est capable de produire un système propre de démocratie, qui satisfasse au besoin fondamental de régulation et de légitimation de la vie nationale. Ce système devrait être bâti à notre sens, sur des structures permettant à chacun, à son niveau, de participer aux prises de décisions lui concernant, et ainsi prendre part à la construction de la Nation. Un modèle qui aura pour socle cinq principes démocratiques essentiels :
Premier principe
C’est la volonté populaire : une véritable démocratie se construit à la base en se fondant sur le citoyen. Ce dernier doit être libre cependant de déterminer, de contribuer à déterminer son propre système démocratique et d’en jouir. Tout tourne autour du citoyen : il détient le droit le droit de vote, c’est lui élit. Il détient également le mandat impératif, la liberté de débarquer un élu (maire, député, CRD)à tout moment.
Deuxième principe
La préservation des libertés individuelles. S’il y a un point positif à tirer de la démocratie libérale, c’est bien la consécration des libertés individuelles : les droits de première génération, inaliénables, imprescriptibles qui consacrent la sacralité de la personne humaine. Autant je suis réfractaire au multipartisme intégral, au parti unique, autant je suis friand des libertés individuelles.
C’est des acquis à préserver et à améliorer d’ailleurs.
Troisième principe
Le troisième principe, c’est d’exclure la violence de notre pratique politique et d’éliminer les facteurs qui les occasionnent. Il est urgent que l’Afrique redevienne cette terre de tolérance, de dialogue, du pardon, d’acceptation de l’autre qu’elle avait été.
Quatrième principe
L’alternance démocratique et paisible. Il ne sert à rien de lutter contre la violence politique si nous ne résolvons pas de façon radicale la principale cause à la violence politique. Au delà de la limitation du mandat, au-delà du renouvellement du personnel politique, l’alternance politique doit faire l’objet d’un consensus national, d’une culture démocratique ancrée, d’un mode de vie. Nul ne devrait y déroger. C’est en ce sens que nous pensons que l’armée soumise à la constitution, devrait en être le dernier rempart.
Cinquième principe
La dépolitisation de l’administration publique. La neutralité du service public est mise à épreuve par la superpuissance du parti au pouvoir. Il faut sonner la fin de la récréation pour les «militants-travailleurs ». Certains me diront que c’est un principe politique que lorsqu’un parti vient au pouvoir, qu’il gouverne avec ses cadres et militants. Pourquoi alors organiser des concours nationaux de recrutement? Pourquoi passer des années d’études, s’il suffit de militer pour avoir un poste ? Non ! Nous devons abandonner la politique du ventre. Nous pensons quant à nous, que le recrutement des agents de l’État doit faire l’objet d’un concours national de recrutement. Un concours au cours duquel tous les enfants de la République seront placés sur le même piédestal.
Nous précisons cependant que les fonctions politiques dérogent à ce principe : ministres, diplomates, certains hauts fonctionnaires sont du domaine politique. Quant à choisir le mode de scrutin, le système pluraliste… quant à choisir entre le multipartisme intégral, le bipartisme, le tripartisme, ou le multipartisme avec parti dominant, nous recommandons de laisser aux citoyens le choix de définir eux-mêmes ce qui leur conviendrait, au terme du débat national inclusif que nous prévoyons au terme d’un référendum.
Kémoko CAMARA
Pour le Front Républicain