Le régime du colonel Mamadi Doumbouya s’est proposé d’engager des réformes institutionnelles de grande envergure pour faire avancer positivement le pays. A première vue, cette belle initiative fait des heureux chez Dame Thémis. Dans le fond, du limogeage inconvenant de la Garde des Sceaux aux nominations le plus souvent non-conformes des magistrats et des membres de la fameuse CRIEF, cela crée un précédent fâcheux pour tous les magistrats qui aspirent à une promotion basée sur les critères objectifs de leur profession. Actuellement, ils sont nombreux à rester perplexes quant à la réalisation de cette volonté de faire de la justice « la boussole » de la transition promise. Lisez cet éclairage de Sambegou Diallo !
L’inquiétude gagne de plus en plus les magistrats guinéens. Et pour cause, nombreux vices entachent certaines nominations, affectations et autres promotions dans leur milieu professionnel. En témoigne le décret présidentiel N°0256 en date du 29 décembre 2021. Décret qui a exposé beaucoup de magistrats, talentueux, dans une « insécurité juridique » ambiante.
Le mal qui ronge Dame Thémis
Quelques temps après, les nuages, les équivoques et les quiproquos se sont dissipés autour du départ inattendu de la ministre de la Justice, Garde des Sceaux.
Contrairement à ce qui a été distillé par les troubadours du régime d’exception, ce décret constitue la raison fondamentale de son limogeage car le projet qu’elle avait soumis n’était pas celui signé par le Président et diffusé par les médias d’État, apprend-t-on de bonnes sources.
Bien au contraire ! Quand elle a constaté que sa proposition a été profondément altérée, au mépris de la loi en vigueur, Me Yarie Soumah a rouspété auprès de ses supérieurs hiérarchiques. Une attitude qui sera interprétée comme de l’insubordination. C’était plutôt courageux de sa part. L’histoire retiendra qu’elle a tenté de sauver la justice et la vérité au prix de son fauteuil ministériel, et défendu jusqu’au bout son pouvoir de proposition.
Selon nos sources, dans la version bis du décret qu’elle a dénoncée, des noms étaient substitués au profit d’autres. Une partie du décret n’était pas paraphée par le Chef de l’État. Certaines feuilles du document étaient remplacées, des défunts étaient postés par mégarde. Des doublons étaient également insérés. C’est le cas des magistrats nommés à deux ou trois postes différents. Des magistrats talentueux, réputés intègres et dont l’expertise peut être vendue à l’échelle internationale, sont renversés et jetés à l’intérieur du pays, dans des confins où certains d’entre eux ne trouvent même pas d’escabeaux pour s’asseoir et encore moins de bureaux. Une cinquantaine de magistrats ou de juridictions omis, etc. Bref, la version «falsifiée» a été faite de toutes pièces, pour parer au plus pressé.
Face à cette situation, les magistrats préjudiciés ne s’avouent pas vaincus. Ils sont mobilisés autour d’un collectif en gestation pour défendre le droit. Aux dires des spécialistes, la nécessité de dénoncer l’iniquité que revêt ce décret falsifié se pose avec acuité. Même si sa rectification est déjà envisagée, pour plus d’objectivité et de légitimation de l’appareil judiciaire actuellement tombé en panne.
Bien d’observateurs soulignent la nécessité de griffonner une plainte contre X, à l’attention du président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), de son ministre de la Justice Garde des Sceaux, et de la Chambre administrative de la Cour suprême. Car la falsification de document administratif, qui plus est, un décret présidentiel, est une infraction à la loi pénale. A moins que …
C’est du faux et usage de faux qui mérite une sanction appropriée, vu que c’est le pouvoir discrétionnaire du Président de la République qui est sapé.
Faut-il ouvrir une enquête pour démasquer les petits malins qui tirent les ficelles? La question est posée. De bonnes sources, l’on est en droit d’écrire que les membres du Conseil supérieur de la magistrature jurent n’avoir pas été associés à ces nominations extravagantes. Alors qui ?
« Nous nous sommes prononcés sur la mise à la retraite de certains doyens de la Justice et sur la nomination des juges de la CRIEF. Pour le reste, nous n’avons pas été consultés», soutient un membre du CSM requérant l’anonymat.
« Étant réuni, un jour de fin décembre 2021, dans un bureau, de 12h à 22h, le Conseil n’a pas livré son avis de conformité en ce qui concerne les magistrats ventilés à l’intérieur du pays ou promus à des postes supérieurs à Conakry », renchérit-il.
Or, l’article 3 du Statut des magistrats stipule clairement que « les décrets de mutation, d’avancement et de promotion dans les fonctions judiciaires sont soumis à l’avis de conformité du Conseil supérieur de la magistrature ». Ce qui est contraire à ce qui a prévalu dans le décret n°0256, «falsifié», selon nos sources, par de tierces personnes.
Autre conséquence de cette falsification présumée de ce décret, le positionnement de magistrats de premier échelon à des postes qui nécessitent une expérience professionnelle d’au minimum 10 ans.
Selon les textes en vigueur, des bénéficiaires du décret n’ont pas 10 ans de service.
Faut-il souligner que la justice, comme dans d’autres professions, reste exigeante par rapport à l’ancienneté et l’expérience, bref, à la carrière, étant des socles de la société ? Pourtant, c’est connu, ne mauvaise décision judiciaire peut provoquer des troubles graves. D’où l’obéissance de la promotion dans la magistrature à l’expérience, à l’ancienneté mais aussi à la moralité.
En parcourant la liste des bénéficiaires dudit décret, l’on tombe sur des cas tout simplement scandaleux comme celui-ci et celui-là qui ont débuté leur carrière de magistrat, tenez-vous bien, en 2015 !
La question qui se pose à ce niveau, est celle de savoir comment régler le problème que pose la promotion de magistrat de premier échelon n’ayant exercé que de talents d’intérimaire dans une juridiction inférieure ?
En matière de droit comme au sein des autres entités organisées, les promotions se méritent et sont déterminées graduellement. Pour les mériter, il suffit de suivre la procédure, et respecter les canevas sans enjamber une seule étape.
Nombre de magistrats du pays ne comprennent pas de quelle manière on peut faire de la justice une « boussole» pour tous si certaines grandes robes chargées de mettre en pratique cette vision du chef de l’Etat sont entrées sur scène par effraction. Il n’y a pas à faire le tour du monde pour savoir que dans les affaires exhibées à la télé ces derniers jours, au rythme soutenu des conférences de presse, il n’y a qu’une campagne de publicité orchestrée par ceux qui, d’après la loi, n’en n’ont ni l’expérience requise, ni l’expertise nécessaire.
L’autre question qui se pose autour des reformes en cours est celle concernant la situation de l’actuel Conseil supérieur de la magistrature (Csm) où certains membres passent le clair de leur temps à coller des fautes professionnelles à ceux qui rechignent à s’occuper de leurs « dossiers » injonctifs.
Avec les reformes annoncées, les magistrats qui comparaissent devant cette juridiction devraient bénéficier d’un double degré de juridiction et être protégés par la loi, comme tous les justiciables, pour l’équilibre et le sacro-saint droit à la défense. En attendant, c’est l’incurie et le laisser-aller qui y prédominent.
Pis, dans une telle situation, il est vrai que la loi est là pour tout le monde, mais dans le rang des magistrats lésés, certains n’ont pratiquement aucune voie de recours pour contester la défaveur.
Aux yeux de ceux-ci, être dynamique, talentueux et faire son travail dans les règles de l’art ne suffit plus pour échapper à la main leste du fameux Csm, devenu plutôt un lieu de règlement de comptes.
«Aujourd’hui, pour une bonne marche de la justice, un contrepoids à cet organe doit être envisagé et des voies de recours ouvertes pour éviter les abus et empêcher une forme de dictature, plaide un professionnel de la justice, et qui pointe du doigt «l’ingérence des membres du Csm auprès des juridictions inférieures» qu’il estime être «autant incalculable que les grains de sable de la plage» de Soro.
Outre cette situation, une bonne partie des acteurs de cette juridiction ont été récemment envoyés à la retraite par le chef de la junte au pouvoir depuis le 5 septembre 2021. Il n’y reste plus que, pour ainsi dire, le menu fretin composé de rescapés ayant du mal à accorder leurs violons sur la marche à suivre.
Encore faut-il préciser que leur mandat ayant expiré depuis belle lurette, le Csm fait face à l’impérieux devoir d’organiser une élection afin de renouveler ses instances, engager des réformes en profondeur et toiletter les textes qui le régissent afin de débusquer les agissements incontrôlés.
L’autre talon d’Achille
Dans l’angoisse qui gagne de plus en plus la justice, il y a la nomination des magistrats de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief). La raison préoccupante, du reste très légitime, est la relégation au second plan des spécialistes rompus à la lutte contre la corruption et les infractions économiques dans la configuration de cette Cour. Comme si, l’État guinéen n’avait financé, dans les années antérieures, leur formation dans ce domaine aussi bien au niveau de la sous-région qu’ailleurs dans le monde, que pour les loger en compléments d’effectif au sein de la Crief.
Face à cette situation alarmante, les magistrats ne rangent pas la robe. Ils promettent des vertes et des pas mûres à leurs adversaires.
Par Sambegou Diallo (Le Populaire)