Deux ans après le coup d’État militaire en Guinée, le juriste consultant Alexandre Naïny Bereté dresse un bilan sans concessions du CNRD au pouvoir. Transition politique au point mort, inflation galopante, détérioration des droits humains… l’expert pointe les lacunes du régime actuel et appelle à un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Seule consolation, l’assistance apportée aux Guinéens à l’étranger. Mais dans l’ensemble, le constat est sévère pour la junte qui peine à redresser le pays. INTERVIEW !
Pouvez-vous donner un aperçu des principales réalisations et des défis auxquels le CNRD a été confronté au cours de sa 2e année au pouvoir en Guinée ?
Vous me permettrez d’abord d’adresser toute ma compassion à l’égard des victimes des intempéries que le pays a connues dernièrement et qui ont occasionné de gros dégâts aussi humains que matériels.
Ecoutez, ce qui est du bilan du gouvernement et du CNRD de façon globale, pour ma part le compte n’y est pas. Une transition militaire est jugée à l’aune des réalisations allant dans le sens du rétablissement effectif de l’ordre constitutionnel. Depuis le 05 septembre 2021 à ce jour, quels sont les actes concrets posés dans ce sens là ? Je n’en vois aucun. Ni dialogue inclusif avec les forces politiques et sociales du pays, ni commencement des étapes indispensables au retour des civils à la tête de l’État. Mon sentiment aujourd’hui est que le CNRD joue la montre alors qu’un gouvernement issu des élections est censé reprendre les rênes dès janvier 2025.
En ce qui concerne la gestion quotidienne des affaires du pays, le marché n’a jamais été aussi cher qu’aujourd’hui. Les citoyens tirent la langue partout dans le pays et la pauvreté s’accroit. Malgré une légère appréciation du franc Guinéen face aux devises étrangères, les prix des denrées de première nécessité ne font que flamber. Un paradoxe d’ailleurs que je ne peux expliquer rationnellement quand on sait que notre pays importe presque tout. Malgré le contexte international qui est volatile, une gestion compétente et saine aurait permis aux citoyens de passer ce moment tumultueux.
Comment évaluez-vous l’impact du CNRD sur la stabilité politique et la sécurité en Guinée depuis son arrivé au pouvoir ?
Ecoutez, on ne peut pas parler de stabilité politique sous une transition politique, c’est même anachronique. La stabilité politique dans un pays s’apprécie quant aux rapports qu’entretiennent les forces syndicales, politiques et sociales sur les réponses à donner aux préoccupations des populations.
On est en situation d’anormalité politique. Le calme est certes dans le pays mais ça tient plus du fait de la peur des militaires qu’à une adhésion des guinéens à la vision du CNRD, si tant est que vision il y a. Et vous voyez que les forces politiques appellent bientôt à des manifestations en raison de l’absence de dialogue sur la conduite de la transition.
Sur le plan sécuritaire, je ne vois pas non plus d’amélioration. Les cas de braquages se multiplient, les meurtres et pas plus tard qu’il y a quelques jours un boulanger était tué. Alors qu’on aurait espéré mieux sous un régime militaire.
Quels sont les principaux enjeux économiques auxquels la Guinée est confrontée sous le régime du CNRD, et quelles sont les mesures prises pour les résoudre ?
Le principal défi du CNRD et du gouvernement aujourd’hui reste l’inflation qui n’est pas encore maitrisée. Allez-y faire un tour dans les marchés pour s’en rendre compte. C’est vrai que le gouvernement nous dit que le pays a connu et va continuer de connaître la croissance économique mais c’est un indicateur trompe l’œil, il n’y a pas d’impact sur la population.
Pour moi, le gouvernement a deux défis devant lui : d’abord, maitriser l’inflation afin de faire baisser les prix sur le marché et ensuite, mobiliser les fonds nécessaire à l’organisation des future élections qui sanctionneront la fin de la transition actuelle.
De nombreux pays et organisations ont exprimé leurs préoccupations concernant la situation des droits de l’homme en Guinée. Pouvez-vous nous donner votre opinion ?
L’arrivée du CNRD a été suscité de l’espoir, il n’en demeure pas moins que deux ans après cet espoir s’est effiloché. La promesse phare était de faire de la justice, la « boussole qui orientera chaque guinéen ». La justice est aujourd’hui malmenée plus que jamais.
Des arrestation aux emprisonnements arbitraires en passant par les harcèlements judiciaires, tout y est. Ça fait plus d’une année que des citoyens guinéens, les dignitaires de l’ancien régime, sont en prison et ce, en violation de toutes les lois qui encadrent la présomption d’innocence et la détention préventive.
Les quelques décisions courageuses prises par certains magistrats, les libérant faute de preuves, ne sont guère appliquées. Ils sont tous malades autant qu’ils sont et on ne les permet même pas de se faire soigner correctement.
Les libertés publiques, la liberté de la presse sont autant de droits fondamentaux qui sont malmenés par les autorités. L’interdiction systématique des manifestations, à l’exception bien sûr des propagandes pro CNRD et le brouillage des fréquences de la presse critique du régime. Bref le tableau est sombre sur le plan des droits de l’homme.
Comment le CNRD a-t-il géré les relations diplomatiques de la Guinée avec d’autres pays et organisations internationales au cours de sa 2e année au pouvoir, et quelles ont été les conséquences de ces relations sur le pays ?
Ecoutez, la Guinée est un pays sous sanction du fait du coup d’État du 5 septembre 2021. Le pays est suspendu de la CEDEAO et de l’Union Africaine, des organisations internationales et tant que la situation n’est pas revenue à la normale, ces sanctions demeureront.
C’est vrai aussi qu’on assiste à une solidarité entre les putschistes de la sous-région pour parler d’une même voie, c’est plutôt logique car comme le dirait l’adage, tout ce qui se ressemble s’assemble.
Le seul point positif que je peux mettre au crédit du CNRD est le fait par exemple de porter assistance aux guinéens qui étaient en détresse dans certains pays comme la Tunisie, le Soudan. Sur ce point, des migrants guinéens sont dans des conditions exécrables au nord du Niger et attendent que le gouvernement leur vienne en aide. J’ose croire que cet appel sera entendu.
Entretien réalisé par Oumar Touré
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